terres malgaches
Le Collectif TANY
CONSIDERATIONS PREALABLES A UNE NOUVELLE POLITIQUE DE GESTION DES TERRES MALGACHES
Dans son objectif de défendre les terres et les ressources naturelles malgaches pour soutenir les citoyens et les paysans de Madagascar dans leur développement, le Collectif TANY livre ses réflexions et fait des propositions dans le cadre de la préparation de nouvelles politiques et lois relatives au Foncier et aux investissements
1. POUR LA PERENNITE DE L'EXISTENCE D'UN TERRITOIRE MALGACHE AU PROFIT DE LA POPULATION MALGACHE
La Constitution de Novembre 2010, actuellement en cours d'application même si elle est fortement controversée, mentionne dès son article 1er que « Les modalités et les conditions relatives à la vente de terrain et au bail emphytéotique au profit des étrangers sont déterminées par la loi ». Les lois actuelles sur le Foncier (1) ne permettent la vente de terres qu'aux seuls citoyens malgaches alors que la loi sur les investissements (2) autorise la vente de terres aux sociétés étrangères.
Les communiqués précédents du Collectif ont dénoncé le caractère suicidaire pour la nation malgache des articles 18 et 19 de cette loi sur les investissements qui met en concurrence directe les familles malgaches en majorité pauvres, avec les puissantes sociétés étrangères dont l'emprise sur les terres est en hausse constante à Madagascar à travers les projets d'investissements agricoles, miniers, touristiques, immobiliers. L'ABROGATION DE CES ARTICLES DE LOI QUI AUTORISENT LA VENTE DE TERRES MALGACHES A DES SOCIETES ETRANGERES DEVIENT UNE URGENTE NECESSITE.(3)
La plupart des projets d'investissements sur les terres présents à Madagascar sont assimilables à des accaparements de terres (land grabbing, fangoronan-tany) car les droits légitimes des communautés locales ont été souvent foulés aux pieds et relégués aux oubliettes : les paysans ont subi des expulsions et des exclusions (4). En effet, tout comme la vente de terrain, un bail emphytéotique et une mise en concession constituent des cas d'accaparements de terres car ils privent aussi les paysans et la population de leurs terres et de leurs ressources agricoles.
La grande majorité des familles malgaches ne possèdent pas de document écrit attestant leur droit de propriété mais vivent sur leurs terres ancestrales selon le droit oral coutumier. En effet, depuis la colonisation en 1896 jusqu'en 2005, la présomption de domanialité considérant toutes les terres non titrées comme appartenant à l'Etat, a continué à régir les terres. Suite à la réforme foncière, la loi 2005-019 a mis en place à Madagascar la présomption de propriété privée et classé les terres en cinq catégories :
le domaine public de l'Etat,
le domaine privé de l'Etat,
les propriétés privées titrées,
les propriétés privées non titrées (PPNT),
et les terrains à statut spécifique.
Les points forts de cette réforme ont été notamment :
d'avoir attesté la propriété des occupants fondée sur les pratiques et usages locaux selon une procédure publique et contradictoire, réalisée par une commission de reconnaissance locale composée des représentants des autorités de la commune et du fokontany ainsi que de raiaman-dreny choisis sur proposition de la population du fokontany.
et d'avoir décentralisé la gestion foncière au niveau des communes. (5)
Cependant, dans la pratique, des responsables étatiques ont continué à ignorer les droits des occupants et titré au nom de l'Etat des terres relevant des PPNT en vue de les louer à des sociétés (6) (*)
(*) Notons que les zones de pâturage « très étendues » sont en attente d'une loi spécifique comme annoncé dans l'exposé des motifs de la loi 2005-019. Par ailleurs, des terrains d'une superficie totale assez importante ne sont pas inclus dans les catégories décrites. Il s'agit des terrains « aux statuts obsolètes » où des familles d'occupants usufruitiers vivent depuis des décennies (réserves indigènes, concessions coloniales, terrains titrés au nom de colons, cadastres non finalisés, AMVR, …) et qui sont gérés actuellement par l'Etat. Des demandes de « versement » de ces terrains dans les PPNT ont déjà été émises par divers acteurs.
Au niveau mondial, la multiplication du phénomène des accaparements de terres a amené des institutions internationales et des mouvements sociaux à recommander l'intégration de la reconnaissance des droits légitimes, des usages et des pratiques des communautés locales dans les lois nationales de chaque Etat. A titre d'exemple, citons les "Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale", (7) préparées par des représentants de gouvernements, organisations paysannes et de la société civile, des acteurs du secteur privé, et approuvées par le Comité de Sécurité Alimentaire en mai 2012. Le Collectif TANY réitère LA NECESSITE DE RENFORCER DANS LES TEXTES DE LOI LA RECONNAISSANCE DES DROITS LEGITIMES DES COMMUNAUTES LOCALES A MADAGASCAR, même lorsque les terrains qu'elles occupent ne font l'objet ni d'un titre ni d'un certificat foncier.
2. Pour une anticipation responsable et efficace de l'utilisation des terres
La presse (8) a publié début avril 2014, la mise à la disposition d'investisseurs de nouvelles ZONES D'INVESTISSEMENT AGRICOLE (ZIA) où « des entrepreneurs locaux et étrangers qui voudront se lancer ou étendre leurs activités dans l'agriculture pourront accéder à des terrains appartenant à l'État » dans quatre régions : Amoron'i Mania, Bongolava, Vakinankaratra et Menabe. La superficie totale, destinée ainsi à l'agro-industrie, dépasse les 40 000 km2. Ce fait rappelle une extension de l'agro-industrie au sujet de laquelle le Collectif TANY a appelé à la plus grande vigilance (9).
La moindre avancée dans cette décision devrait rendre obligatoire l'introduction dans les lois malgaches de la préservation et de l'aménagement de ZONES EXCLUSIVES D'ACTIVITES DE SUBSISTANCE (ZEAS) afin de permettre à la population de chaque région l'accès continu aux terres et l'utilisation garantie des ressources naturelles. Ces périmètres inaliénables couvriront les zones de culture, les terrains de parcours, les zones de pêche, les zones de cueillette, les zones de chasse, les zones de pâturage, les couloirs de transhumance, les mines artisanales, ... Les ZEAS assureront les besoins actuels de la production vivrière en vue de l'autosuffisance alimentaire de la population des villes et campagnes malgaches, le DEVELOPPEMENT DE L'AGRICULTURE PAYSANNE mais également L'EXTENSION DES ESPACES DE VIE ET DE CULTURE POUR LES GENERATIONS FUTURES.
Avant toute nouvelle initiative, la réalisation d'un INVENTAIRE DES TERRAINS DE L'ETAT DONT LES DROITS FONCIERS ONT DEJA ETE TRANSFERES A DES INDIVIDUS ET SOCIETES, NATIONAUX OU ETRANGERS est primordiale. Cet inventaire précisera notamment le type de cession – vente ou location par bail emphytéotique, -, l'identité, la nationalité et l'origine de l'investisseur, le nombre des investissements, les superficies allouées, l'objet de l'investissement, la durée de l'exploitation prévue, la durée du bail et le résultat devra être divulgué. Nous savons par ailleurs que plus de 6 millions d'hectares de forêts et autres ont d'ores et déjà été consacrées aux aires protégées dont l'accès et l'utilisation des ressources sont interdites aux communautés locales.
Des enquêtes intégrant les facteurs agronomiques, écologiques, économiques et sociologiques et impliquant tous les citoyens des fokontany et communes jusqu'au niveau de la coordination régionale et nationale s'avèrent nécessaires pour éviter les interprétations erronées sur ce que certains désignent par « disponibilité des terres ». Chaque citoyen est en droit d'être informé de la situation actuelle et de pouvoir participer aux nouvelles décisions sur les terres en connaissance de cause car l'avenir de chaque famille et de la nation entière en subira les conséquences.
3. Pour des investissements qui profitent également aux populations locales
L'investissement peut se définir comme étant l'« action d'engager des capitaux dans une entreprise en vue d'un profit à long terme » et le « résultat de cette action » (10). Une analyse en termes de coûts/avantages est nécessaire pour classer et choisir les investissements et un « investissement » sur des terres de vastes surfaces implique toujours plusieurs parties prenantes : l'investisseur et ses financeurs, l'Etat, les autorités des structures déconcentrées et décentralisées et la population locale. Le profit, à court, moyen et long terme, tiré d'un investissement doit donc bénéficier à toutes les parties.
Les autorités et les lois devraient PRIVILEGIER LES INVESTISSEMENTS QUI MAINTIENNENT L'ACCES ET LE CONTROLE DES POPULATIONS SUR LEURS TERRES, comme dans les cas de partenariats économiques qui considèrent les terres comme un capital apporté par les communautés locales et leur permettent d'effectuer leur travail tout en participant aux prises de décisions et au fruit des bénéfices.
L'IMPLICATION DES POPULATIONS LOCALES A TOUTES LES ETAPES DU PROCESSUS d'investissement est primordiale ainsi qu'une gouvernance des terres respectant la transparence des négociations et le suivi des engagements. Une évaluation indépendante et adéquate des études d'impact social et environnemental et la divulgation de leurs résultats figurent parmi les défis à relever actuellement à Madagascar.
L'amélioration de la gouvernance des terres nécessite de NOUVELLES STRUCTURES impliquant les populations locales et la société civile, telles
qu'un Comité pour le Respect de l'Environnement et du Développement économique et social, appui technique indépendant visant à aider les communautés locales à défendre leurs intérêts,
et un Comité de Surveillance des Investissements, chargé de veiller scrupuleusement au respect des termes des contrats pendant toute la durée de leur exécution.
Dans l'attente de la suite de la publication de ses propositions, le Collectif TANY vous invite à lire la LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, AUX ELUS ET DECIDEURS, ET A TOUS LES MALGACHES SOUCIEUX DE L'AVENIR DE LEURS TERRES (11) et réitère les recommandations qui y sont mentionnées :
Gardons jalousement nos terres car leur valeur économique a beaucoup augmenté dans le monde.
Arrêtons de louer nos terres souvent à bas prix pour des décennies à des sociétés et fonds nationaux ou étrangers
Soutenons les paysans malgaches qui constituent la majorité de la population par une politique publique accordant la priorité à l'agriculture paysanne familiale. Aidons-les à améliorer leurs moyens et méthodes de production afin que leur travail leur rapporte des revenus décents et que Madagascar connaisse l'autosuffisance alimentaire d'abord et devienne un pays exportateur de produits agricoles ensuite.
Paris, le 18 mai 2014