surveillance internationale
Lettre ouverte aux députés français sur la proposition de loi relative à la surveillance internationale
Paris, le 21 septembre 2015 — La proposition de loi sur la surveillance internationale a été adoptée sans amendement et quasiment sans discussion le 16 septembre par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale.
Avant l'examen du texte en séance plénière le 1er octobre, La Quadrature du Net veut mettre en garde les députés contre un texte qui, loin d'être une simple formalité législative, engage la France dans une logique délétère de course à la surveillance mondiale.
Madame la députée,
Monsieur le député,
Vous allez examiner le 1er octobre prochain une proposition de loi portée par Madame Patricia Adam et portant sur la surveillance des communications internationales. Cette proposition de loi a pour objectif de revenir sur les dispositions de la loi sur le renseignement qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel le 23 juillet dernier.
Bien que très courte, cette proposition de loi n'en est pas moins très importante : elle légalise les pratiques des services de renseignement français à l'international, et par conséquent montre enfin quelles sont ces pratiques et les ambitions du gouvernement concernant l'espionnage international.
Comme nous l'avons détaillé dans notre analyse de la proposition de loi, plusieurs points sont particulièrement inquiétants :
- la validation du principe de surveillance de masse : autorisations données par le premier ministre d'exploiter des données de connexion de façon non individualisée, non ciblée. Les autorisations seront données par zones géographiques, par organisation (toute l'Afrique, toute la Russie, toute l'ONG XX ou l'entreprise YY, par exemple) et sans préciser le type de technique utilisée pour analyser les données recueillies.
- une protection insuffisante des communications françaises : la loi prévoit que l'ensemble des communications internationales puisse être collecté, y compris celles émises ou reçues à l'étranger, ce qui englobe une part très importante des communications des résidents français. Ce n'est qu'au stade de l'exploitation de ces interceptions que le « tri » sera fait entre identifiants rattachables à la France ou non rattachables. La collecte de masse des communications concerne donc bien les citoyens français.
D'autre part, les citoyens français résidant à l'étranger ne bénéficieront pas de la même protection que ceux résidant en France, puisqu'ils seront soumis au régime de surveillance internationale : cela introduit une rupture flagrante dans l'égalité des droits des citoyens français. - un allongement injustifiable de la durée de conservation des données : sans justification réelle, le texte prévoit un allongement substantiel de la durée de conservation des données collectées, durée déjà généreuse dans la loi sur le renseignement pour les données collectées en France. Les correspondances sont ainsi conservables pendant un an au lieu de 30 jours, les données de connexion 6 ans au lieu de 4 en droit commun, etc. Le principe d'universalité des droits ainsi que l'absence de justification acceptable de cet allongement demandent à ce que ces durées de conservation ne soient pas allongées. Cela est d'autant plus nécessaire après l'invalidation par la CJUE de la directive de 2006 sur la rétention des données.
- un contrôle limité et a posteriori : lors de la discussion de la loi sur le renseignement, les capacités de contrôle effectif de la CNCTR avaient déjà été mises en doute. L'avis consultatif et non contraignant de la CNCTR sur les interceptions « intérieures » semblait déjà faible. Pour les communications internationales, la loi ne prévoit aucun avis préalable de la CNCTR, et lui octroie seulement un droit de regard a posteriori. En toute logique, cette fiction de contrôle ne devrait pas suffire à écarter les arguments que le Conseil constitutionnel a opposés à l'article 854.1 de la loi renseignement si jamais il avait à connaître un jour du texte en discussion. L'ensemble de la politique de renseignement sera concentrée dans les mains du Premier ministre qui désignera tous les ans les systèmes de communications qui pourront faire l'objet d'une surveillance, sans possibilité pour les citoyens de savoir si tel ou tel système est sous surveillance.
- aucune mention d'accords de coopération entre services : alors que la coopération internationale entre services de renseignement a été bien des fois évoquée y compris par le gouvernement français, aucune mention n'est faite de ces accords dans la loi. Ces accords ont pourtant une incidence profonde et directe dans la garantie des droits et libertés des citoyens, puisqu'ils permettent un transfert plus ou moins étendu d'informations personnelles sans que la loi ne précise quelles sont les garanties, contrôles et recours qui s'appliquent 1.
Le gouvernement, actuellement dans une situation d'illégalité complète en ce qui concerne l'ensemble des actions des services de renseignement extérieur suite à la censure du Conseil constitutionnel, vous presse de voter cette loi comme s'il s'agissait d'une simple formalité. Ce n'est pas le cas.
Cette loi installe la politique de renseignement extérieur de la France sur le terrain de la surveillance de masse. Faut-il le rappeler, les finalités du renseignement vont bien au delà du terrorisme et concernent également la défense et la promotion des intérêts de la France (stratégiques, économiques, scientifiques, industriels, etc.) ainsi que la surveillance des mouvements contestataires ou radicaux, etc.
C'est donc la place de la France dans le monde, et notamment par rapport à nos voisins européens, qui doit être questionnée dans cette loi : les pratiques que l'on va vous demander de légaliser sont des pratiques agressives qui demandent une plus large réflexion que ce vote en procédure d'urgence et en catimini.
N'hésitez pas à nous contacter pour discuter des problèmes que posent cette proposition de loi, et à visiter notre page proposant des pistes d'amendements.
Comptant sur votre vigilance,
La Quadrature du Net
- 1. Ce type d'accords de coopération soulève de plus en plus d'inquiétudes. Privacy International révélait le 14 septembre dernier les recours émis contre les accords entre la NSA (Agence américaine de sécurité nationale) et le GCHQ (service d'écoutes britannique)