règle "Volker"
Les Etats-Unis adoptent la « règle Volcker » pour limiter la spéculation
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)
Les autorités de régulation financière des Etats-Unis ont publié, mardi 10 décembre, la version définitive de la « règle Volcker », franchissant une nouvelle étape dans la réforme du système financier américain. Sans surprise, les cinq organismes de tutelle concernés – la Réserve fédérale (Fed, banque centrale), la Securities and Exchange Commission (SEC, gendarme des marchés financiers), l'Organisme fédéral de garantie des dépôts, l'Office du contrôleur de la monnaie et la Commodity Futures Trading Commission – ont repoussé d'un an, à juillet 2015, son entrée en vigueur.
Cette nouvelle règle vise notamment à limiter la capacité des banques à spéculer. Ce dispositif fait partie de la loi Dodd-Frank, votée en 2010 par le Congrès, qui a pour objectif de réformer les pratiques de Wall Street après la crise financière.
Cette « règle », qui porte le nom de son auteur, Paul Volcker, ancien président de la Fed, n'en reste pas moins un parcours d'obstacles. Après une élaboration vivement contestée par les lobbies bancaires restera en effet la partie la plus difficile : son interprétation et sa mise en œuvre.
Elle interdit notamment aux établissements bancaires de pratiquer le proprietary trading, c'est-à-dire la spéculation pour leur propre compte. Elle prévoit aussi de fortes restrictions sur la détention de participations dans des hedge funds ou des fonds de private equity. L'objectif principal consiste à éviter le financement d'actifs risqués par des dépôts garantis par l'Etat fédéral.
L'APPLICATION DU TEXTE RISQUE D'ÊTRE PLUS COMPLIQUÉE
Si l'esprit du texte est clair, son application risque d'être plus compliquée. Car, comme le note Irène Finel-Honigman, professeure de finance internationale à l'université Columbia, à New York : « Les véritables lignes de démarcation entre les différentes activités de proprietary trading et d'autres activités, qui, elles, sont tout à fait légitimes, restent peu claires. »
Les banques affirment qu'il est très difficile de distinguer la spéculation pour compte propre des opérations de couverture de risque ou des transactions effectuées pour le compte de la clientèle.
« Les banquiers demandent un texte très précis pour ensuite trouver des exceptions dans lesquelles ils vont pouvoir s'engouffrer, ils sont comme des enfants qui cherchent les limites de l'autorité parentale pour mieux la contourner », ironise Marco Avellaneda, partenaire du cabinet de conseil en risque financier Finance Concepts LLC et professeur à l'université de New York.
Pour lui, moins le texte est précis, plus il obligera les banques à être vigilantes sur la définition de la spéculation. « Je pense que c'est à la banque d'apporter la preuve qu'elle ne fait pas de spéculation, pas au régulateur de démontrer qu'elle en fait », estime-t-il.
CES CONTRAINTES VONT SE TRADUIRE PAR DES COÛTS IMPORTANTS
La nouvelle réglementation va imposer de nombreuses obligations en termes de conformité : audit annuel, transparence systématique des différents départements pour vérifier qu'ils ne cachent pas d'activités désormais illicites et que la gestion des risques est bien en conformité.
Les banques devront tenir à jour la ventilation des revenus et les flux de clientèle. « La règle Volcker s'assurera que ceux qui sont chargés des institutions financières envoient les bons signaux à l'ensemble de leur entreprise », résumait-il y a quelques jours Jack Lew, le secrétaire au Trésor.
Ces contraintes vont se traduire par des coûts non négligeables. Mais ce que craint le plus le secteur financier c'est que la réglementation touche à l'une de ses activités les plus rentables, la spéculation pour compte propre pouvant représenter jusqu'à 10 % du produit net bancaire des grandes banques d'affaires.
« Un manque à gagner qu'il faut relativiser, tempère M. Avellaneda, car, quand on regarde les bilans des banques, il y a beaucoup d'argent versé au titre de la compensation. Quant aux coûts, une grande partie part dans les rémunérations. C'est un modèle qui est adapté à des métiers de spéculation, pas à des entreprises bancaires. »
Pendant des mois, les banques ont espéré aboutir à une version allégée de la règle Volcker. Mais tout a basculé avec l'affaire de la « baleine de Londres ».
UNE BATAILLE LOIN D'ÊTRE TERMINÉE
Au printemps 2012, les positions spéculatives prises par les traders de JPMorgan avaient fait perdre à la banque américaine 6 milliards de dollars (4,4 milliards d'euros). L'épisode a fini de convaincre les régulateurs qu'il fallait, au contraire, un encadrement strict de ces pratiques.
Néanmoins, la bataille est loin d'être terminée. Tout le monde s'attend à une contre-attaque du secteur financier sur le terrain juridique. De l'avis des experts, il est peu probable que les banques montent au créneau individuellement. Elles préféreront s'abriter derrière la Securities Industry and Financial Market Association ou la chambre de commerce.
En tout cas, les banques auront tout le temps d'argumenter puisqu'elles bénéficieront d'un délai d'application qui pourrait courir jusqu'en 2015. « Cela laisse des possibilités d'évolution significative, regrette Mme Finel-Honigman. Par exemple, qu'adviendra-t-il du texte si le contexte économique de reprise venait à se dégrader ? »
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[L’affaire de la « baleine de Londres »
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- Stéphane Lauer (New York, correspondant) Journaliste au Monde