qu'est-ce qu'ils foutent là-haut ?

Ils sont officiers d'Etat civil, aménageurs d'espace public, officiers de police, mais aussi animateurs culturels, médiateurs, urgentistes sociaux... Ils forment une armée de plus de 36 000 hommes et femmes qui tiennent leur légitimité d'un scrutin direct : ce sont les maires, vers lesquels se tourne une population confrontée au chômage, à la baisse de ses ressources, au déclassement.
  
"Nous sommes au front, c'est de nos yeux que nous mesurons la part croissante de la population qui souffre", témoigne Bernard Moraine, maire divers gauche de Joigny (Yonne), rencontré lors des Assises des petites villes de France, qui ont réuni des centaines d'élus les 30 et 31 mai à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône). "C'est à notre porte que les gens viennent frapper quand rien ne va plus, poursuit Maurice Marron, maire PS de Tullins (Isère). Il fut un temps où on allait voir le curé. Mais il n'y en a plus. Il ne reste plus que nous."
 

Partout, les élus locaux ont les mêmes capteurs pour mesurer la lente dégradation de l'état social de la France : "Au début de ce mandat, personne ne venait encore réclamer l'aide sociale, note Lucien Stanzione, maire PS d'Althen-des-Paluds (Vaucluse). Maintenant, beaucoup n'ont d'autre choix que de faire la démarche, pour payer la cantine de leurs enfants ou les activités périscolaires."
 
 "DOS AU MUR"
 

"Les difficultés de nombre de foyers ont été masquées par "une grande pudeur", témoigne Bernard Weisbecker, maire EELV de Leffrinckoucke (Nord).
 Mais depuis 2008, dos au mur, des gens que l'on ne connaissait pas ont poussé la porte des services de la ville pour une aide, un accompagnement."
 La hausse du nombre de repas distribués par les Restos du cœur est de 45 % à Joigny. A Avallon (Yonne), la mairie voit s'accumuler les factures d'eau et d'électricité impayées.
 Une nouvelle frange de la population, qui s'en sortait difficilement mais se débrouillait seule, a basculé.
 "Ceux qui avaient un morceau de travail, des couples qui enchaînaient CDD et intérim et arrivaient à maintenir la tête hors de l'eau ont, petit à petit, été emportés",
constate Jean-Yves Caullet, maire socialiste de la ville.
 Le constat est le même sur des territoires aux profils économiques dissemblables.
 A Marnaz, commune industrielle de Haute-Savoie, le nombre de chômeurs a doublé en cinq ans, témoigne le maire, Loïc Hervé (UDI).
 "De 30 demandes d'emploi par mois il y a cinq ans, je suis passé à 30 par semaine", compte Bernard Moraine, dont la ville de Joigny a été dépouillée de ses administrations.

TROUVER DES AMORTISSEURS À LA CRISE

 La destruction du tissu industriel est vue comme une fatalité par la population.
 "Avoir une usine qui ferme sur son territoire, c'était, il y a une ou deux mandatures, un coup à se faire battre lors des élections suivantes.
 C'est aujourd'hui entré dans les mœurs"
, observe M. Marron.
 
Aménagement des dettes, aide alimentaire, services publics, médiations avec les bailleurs, investissements...
 Avec leur boîte à outils, les élus multiplient ou inventent des amortisseurs à la crise.
 "Il suffit d'une perte d'emploi, d'un décès, pour qu'en six mois des personnes glissent dans la précarité.
 Nous tentons de détecter ces situations au plus vite, lorsque les bailleurs sociaux signalent des impayés.
 Nous tentons d'aménager les dettes, de maintenir l'eau et l'électricité, et d'éviter les expulsions à des familles,
 pendant que Cofidis accorde des crédits à la consommation à des foyers surendettés"
, s'agace Bernard Moraine.
 
Pour répartir la manne municipale plus largement, Gérard Tardy, maire souverainiste de Lorette (Loire), a "démécanisé" le service de propreté des rues de sa ville.
 "Les machines ont été mises à la retraite et j'ai créé une bourse annuelle de 12 000 heures de balayage accessible à tous.
 C'est une manière de réinjecter les impôts sur le territoire."
 

  CITOYENS EN COLÈRE

  Toutefois, pour nombre d'élus, la guerre contre le chômage se gagnera en bâtissant.
 "Pour encourager l'emploi, il faut maintenir l'investissement, analyse Loïc Hervé.
 C'est la réalisation d'équipements qui porte la compétitivité du territoire.
 Les infrastructures dont dispose la ville (crèches, transports, équipements culturels...),
 c'est ce que regarde un entrepreneur avant d'installer sa société."

 
A neuf mois des municipales, la plupart des maires de gauche veulent croire qu'ils ne paieront pas dans les urnes l'impopularité du gouvernement.
 "Il y a une dissociation du local et du national, souligne Olivier Dussopt, député PS et maire d'Annonay (Ardèche).
 Même si ce que l'on ressentait comme de l'inquiétude de nos concitoyens s'est mué aujourd'hui en colère."
 
"Il existe une totale déconnexion entre la réalité de la vie quotidienne et les débats politiques à Paris", lâche Lucien Stanzione.
 "'Qu'est-ce qu'ils foutent là-haut ?' Voilà la question que mes concitoyens me posent",
 poursuit Alain Queffelec, maire PS de Guipavas (Finistère).
 "Je réponds qu'il faut être patient.
 Quant à la prochaine campagne municipale, nous n'allons pas porter le drapeau socialiste très haut !",
prévient-il.
 
   
Eric Nunès Le monde 5/6
   


 
 
 
 
 



06/06/2013

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