laisser dans le sol
Nous devons laisser deux tiers des énergies fossiles dans le sol
Le Monde.fr | 15.11.2012 à 18h08
Par Maxime Combes, économiste, membre de l'Aitec et d'Attac France
Dans son rapport annuel publié le 12 novembre, intitulé World Energy Outlook 2012, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) préconise de laisser dans le sol plus des deux tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles. L'AIE écrit en effet que "notre consommation, d'ici à 2050, ne devra pas représenter plus d'un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles" afin de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement global maximal d'ici la fin du siècle. Rien d'extraordinaire pour autant. Ces résultats sont bien connus.
Dans une étude de 2009, le Potsdam Institute for Climate Impact Research démontrait qu'il ne fallait pas émettre plus de 565 gigatonnes de CO2 ou équivalents CO2 d'ici à 2050 pour avoir quatre chances sur cinq de ne pas dépasser la barre fatidique des 2°C. Or, la combustion de toutes les réserves prouvées de pétrole, charbon et gaz de la planète engendrerait 2 795 gigatonnes de CO2, soit cinq fois plus. Dit autrement, selon ces données, 80 % des réserves d'énergies fossiles actuelles ne doivent pas être extraites et consommées si l'on veut respecter les objectifs de stabilisation du climat fixés par la communauté internationale. Soit la majorité des réserves conjointes de pétrole, de gaz et de charbon.
En reprenant peu ou prou ces données à son compte, l'AIE confirme donc que l'humanité fait face à un trop-plein d'énergies fossiles d'ici 2050 et non à une pénurie. A moins d'être climato-sceptique ou complètement insensé, il y aurait donc aujourd'hui trop de pétrole, de gaz et de charbon. Pour être tout à fait exact, l'AIE suspend cette conclusion à la possibilité "d'un déploiement à grande échelle de la technologie de captage et de stockage du carbone (CSC)". Comme ces techniques sont à ce jour non maîtrisées, peu fiables, et incapables de s'occuper de l'essentiel des émissions de CO2 liées aux transports, au bâti et aux petites unités de production industrielle, etc., il est raisonnable de les écarter, comme le font la majorité des experts du climat.
En poursuivant le raisonnement de l'AIE, il n'y aurait donc aucune raison de poursuivre les explorations et forages pour extraire du pétrole, du gaz ou du charbon toujours plus loin, toujours plus profond. Extrêmement coûteuses et dangereuses, les explorations d'hydrocarbures non conventionnels, comme les gaz et pétrole de schiste, ne sont donc pas compatibles avec les objectifs climatiques. La communauté internationale et les pays membres de l'ONU seraient donc bien avisés de déclarer un moratoire général sur toute nouvelle exploration d'hydrocarbures. Une telle décision libérerait les financements nécessaires à la transition écologique des modèles de production et de consommation. Des politiques de sobriété et d'efficacité énergétiques pourraient voir le jour, et les énergies renouvelables, plutôt que s'additionner aux énergies fossiles et fissiles, pourraient s'y substituer.
Laisser les énergies fossiles dans le sol, voilà qui serait une belle feuille de route pour le débat que veut ouvrir François Hollande sur la transition énergétique. Et l'objectif que devraient porter la France et l'Union européenne lors de la prochaine conférence sur le climat de Doha (Qatar).
Maxime Combes, économiste, membre de l'Aitec et d'Attac France
L'Aitec est l'Association internationale de techniciens, experts et chercheurs.