la constitution se rappelle

Euro: la constitution se rappelle à Paris et Berlin
    

                29 novembre 2011       |       Par Martine Orange <http://www.mediapart.fr/biographie/29204>  - Mediapart.fr     
      

 

Le projet de consolidation de la zone euro, que comptent présenter  Angela Merkel et Nicolas Sarkozy lors du sommet européen du 9 décembre,  est encore très flou. Pourtant, ce qui semble se dessiner est bien plus  qu'un simple aménagement, un approfondissement des traités de Maastricht  et de Lisbonne entre quelques pays élus, comme tente de le présenter  pour l'instant la communication gouvernementale.
  

Il s'agit ni plus ni moins, au travers de la définition de la  procédure du contrôle du budget, d'encadrer un des actes majeurs d'un  gouvernement démocratique. Et cela ne peut pas se faire dans le cadre de  traités bilatéraux signés à la va-vite sur le coin d'une table,  contrairement aux espoirs des gouvernements allemand et français,  pressés d'envoyer des signaux pour rassurer les marchés et endiguer la  crise de l'euro.  
  

Car le budget est un domaine primordial en droit constitutionnel. « Le budget est une prérogative régalienne. C'est un des piliers de la souveraineté nationale », rappelle Didier Maus, spécialiste de droit constitutionnel, professeur à l'université Paul-Cézanne Aix-Marseille III. « La loi de finances est l'acte politique le plus important de l'année »,  insiste de son côté Jean Gicquel, professeur émérite à l'université  Paris I Panthéon Sorbonne. L'article 34 de la Constitution en souligne  l'importance : « Les lois de finances déterminent les ressources et  les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues  par une loi organique. »
 

Si une telle primauté est accordée au budget, c'est que la question  des finances et de l'autonomie budgétaire a été un des fondements de la  démocratie moderne. « No taxation without representation » (pas  d'impôt sans représentation) fut le premier mot d'ordre des  indépendantistes américains contre le pouvoir britannique en 1775. «  Le consentement à l'impôt fut une des premières règles posées par la  Révolution, par un décret de 17 juin 1789, puis inscrit dans la  déclaration des droits de l'homme », rappelle Jean Gicquel.
  

Les gouvernements européens sont si conscients du caractère souverain  du budget qu'ils souhaitent faire inscrire la « règle d'or »,  interdisant tout déficit budgétaire – puisque leur seule analyse de la  crise se résume à un excès de dette publique –, dans la constitution des  différents pays de la zone euro. Nicolas Sarkozy n'a pas osé présenter  le texte à la rentrée, par peur d'essuyer une défaite : il courait le  risque de ne pas réunir une majorité des trois cinquièmes au Congrès  réunissant les députés et les sénateurs. Mais aujourd'hui, il laisse  entendre qu'il n'a pas renoncé à ce projet.
  

Mais pourquoi envisage-t-il une révision constitutionnelle pour faire  adopter la «règle d'or», alors qu'il semble l'exclure pour la réforme  de la zone euro, discutée actuellement avec Berlin? Car selon les  premières informations qui ont filtré, Berlin et Paris envisagent un  cadre bien plus rigide que la règle d'or. Outre l'engagement pour les  Etats de cette nouvelle mini zone euro d'avoir des budgets tendant vers  zéro déficit, Angela Merkel exige un contrôle draconien de l'ensemble du  processus budgétaire, justifié, selon Berlin, par les garanties  apportées par l'Allemagne.

Une modification de la Constitution
   

Avant même le vote de la loi de finances par les parlements  nationaux, le projet budgétaire de chaque pays serait soumis à un  contrôle a priori par la commission pour examiner s'il respecte  bien les dispositions communes. Tout pays qui contreviendrait aux règles  de déficit, ou ne respecterait pas la réduction de l'endettement  public, se verrait infliger des sanctions automatiques, procédure aussi  prévue dans le cadre du mécanisme de stabilité financière, qui devrait  être instauré en 2013. Enfin, les autres pays membres de cette mini zone  pourraient porter plainte directement auprès de la cour européenne de  justice contre le pays fauteur de troubles pour exiger de nouvelles  sanctions. Ce corpus de règles relève sans nul doute d'une allégorie de  « l'hymme à la joie » européen...
  

Les spécialistes de droit constitutionnel ne voient pas comment, en  l'état de leur connaissance du projet, de telles règles pourraient être  mises en &oeliguvre sans une modification profonde de la constitution. « Soit  il s'agit de créer une procédure de consultation, et là cela ne pose  aucun problème, le gouvernement est parfaitement libre de consulter qui  il veut, sans être lié. Soit il s'agit d'une procédure contraignante et  là la situation est tout autre. Si cette perspective était envisagée,  elle porterait atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la  souveraineté nationale. Le conseil constitutionnel ne pourrait que  demander une modification de la Constitution avant la ratification d'un  tel traité», affirme Didier Maus.
  

« Que le contrôle soit avant, pendant ou après, cela ne change  rien. C'est contraire à la Constitution. Le budget est un élément de  souveraineté et la représentation nationale verrait limités ses pouvoirs.  Je ne doute pas que le conseil constitutionnel, qui ne manquerait pas  d'être saisi sur un tel traité, ne demande une modification de la  Constitution », affirme Michel de Guillenchmidt, professeur de droit constitutionnel à Paris V. « Le traité ne pourrait être ratifié qu'une fois la Constitution modifiée, comme cela s'est passé lors de la réforme pénale », ajoute-t-il.
  

« La construction européenne implique nécessairement une  dépossession de la souveraineté nationale. C'est ce qui s'est passé avec  la création de l'euro où nous avons renoncé au droit de battre monnaie.  Mais cela ne peut se faire que dans le cadre d'une modification de la  Constitution », précise Jean Gicquel.
  

 Ce que tous analysent comme une intégration vers le fédéralisme  conduirait à une réécriture en profondeur de la Constitution. Car  l'adoption de telles règles reviendrait à consentir à un abandon non  négligeable de souveraineté tant en matière budgétaire que dans les  pouvoirs du parlement, voire de la définition de la loi. Cela imposerait  aussi une redéfinition du rôle de la Cour des comptes, qui, depuis la  modification de 2008, exerce le pouvoir de contrôle sur les finances  publiques pour le gouvernement comme les assemblées. « Cette dernière se verrait privée d'une partie de ce pouvoir », relève Michel de Guillenchmidt.
  

Toutes ces modifications devraient être inscrites dans un nouveau  texte constitutionnel. Comme le prévoit la loi, celui-ci doit être  approuvé, soit par référendum – mais depuis l'échec de 2005, cette voie  est quasiment exclue par les politiques –, soit par le Congrès,  réunissant Assemblée et Sénat, avec une majorité des trois cinquièmes  des votants.
  

Déficit démocratique
   

Une autre question se pose qui ramène au c&oeligur du débat sur la  construction européenne : le déficit démocratique de tout ce mécanisme.  Car, pour l'instant, il n'est pas du tout question de substituer le  parlement européen aux parlements nationaux dans les procédures  budgétaires, ce qui reviendrait à garantir un contrôle démocratique à un  échelon supérieur. Berlin et Paris préfèrent s'en tenir à un contrôle  par la Commission. « On est un peu étonné que le parlement européen, élu au suffrage direct – ce qui est une situation unique au monde –, ne revendique pas cette légitimité démocratique dont il est le seul à pouvoir se prévaloir », relève Jean Gicquel.   
  

Didier Maus soulève un autre obstacle dans les mécanismes de contrôle  imaginés par les gouvernements allemand et français : celui de la  régularité par rapport au système démocratique allemand. « Je ne vois  pas comment les Allemands pourraient accepter un tel transfert. La cour  constitutionnelle de Karlsruhe a validé le principe d'un transfert de  souveraineté à la condition d'offrir des garanties démocratiques  équivalentes », explique-t-il. Difficile de penser que la cour  constitutionnelle allemande reconnaisse la commission européenne comme  un modèle de démocratie.
  

A ce stade, les questions essentielles soulevées par les experts de  droit constitutionnel amènent à s'interroger sur la réalité du processus  tel qu'il est envisagé par Berlin et Paris. Soit ils souhaitent une  ratification rapide, et dans ce cas le projet n'est qu'un habillage  d'une man&oeliguvre politique, destinée à donner rapidement des gages au  monde financier. Mais tout cela risque de conduire au même résultat que  les plans précédents : l'Europe sera vite démasquée et en payera un prix  supplémentaire.
  

Soit il existe une véritable volonté politique d'engager un processus  d'intégration vers le fédéralisme, mais alors la question est si  multiple qu'elle ne peut être traitée sous le seul angle d'une procédure  budgétaire, en laissant de côté tous les autres aspects comme les  déséquilibres au sein de la zone euro, les transferts entre pays, la  surévaluation monétaire si néfaste à certaines économies européennes,  l'absence de fiscalité commune... Elle impose de toute façon du temps,  des débats, des concertations, des compromis. Car la souveraineté ne  s'abandonne pas comme cela, sur un coin de table. La constitution est là  pour se porter garante de son respect. Tout à sa gestion survoltée de  la crise, l'Elysée semble l'avoir oublié.
        
     

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/economie/291111/euro-la-constitution-se-rappelle-paris-et-berlin



03/12/2011

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