C'est une édition spéciale du célèbre guide consacrée aux migrants. Le Routard et l'agence de voyage Voyageurs du monde publient un manuel distribué gratuitement aux ONG. Publié sous le titre «Hello!», il est uniquement constitué d'images. Son objectif? Aider les réfugiés au cours de leurs démarches. Le manuel est disponible sur le site Internet du Routard, et sera imprimé à 5.000 exemplaires dans un premier temps. Philippe Gloaguen, directeur de cette institution du voyage, revient sur une initiative «humaniste», fustigeant ceux qui la qualifieraient d'opportuniste.
LE FIGARO. - À quel moment avez-vous décidé de lancer ce guide?
Philippe GLOAGUEN. - Le déclic a été la déclaration de nos gouvernants qui ont annoncé 24.000 places pour les réfugiés en France. J'ai trouvé que c'était scandaleux. Je vais vous donner un exemple historique peu connu: en août 1914, quand l'Allemagne a envahi la Belgique, nous avons accueilli 1.5 million de réfugiés belges en quinze jours. C'était 62 fois plus important que les 24.000 d'aujourd'hui. Clémenceau était 62 fois plus courageux que François Hollande…
En quoi consiste votre manuel?
Le contenu du Guide du Routard des réfugiés sort dans quinze jours en papier, et ce soir, tout le guide sera en ligne sur routard.com, gratuitement. Toute mon équipe a travaillé deux mois sur ce projet, un guide particulier puisqu'il n'y a aucun texte si ce n'est le titre: «Hello!». Ce sont des dessins qui peuvent aider à l'accueil des réfugiés. Ayant rencontré plein d'ONG pour ce travail, j'ai compris que le grand problème des réfugiés était d'abord celui de la langue. Il y beaucoup d'Irakiens qui ne parlent pas arabe, les Erythréens ne parlent pas arabe, donc il est grand temps d'aider tous ces gens. Mais on a perdu beaucoup de temps.
Vous précisez que c'est un guide destiné au personnel d'accueil, plus qu'aux réfugiés...
Les migrants n'ont pas de place pour accueillir ce guide, ils vont l'utiliser une journée et le jeter. C'est un mode d'emploi pour répertorier toutes les questions importantes, parfois un peu technique: comment avoir le statut de réfugié politique, expliquer les démarches, cerner les problèmes au niveau de l'hébergement… Il faut par exemple demander si le lit est matrimonial ou jumeau quand on voit des couples arriver. Il y a aussi tous les interdits alimentaires, le porc, les problèmes au niveau des soins pour les enfants, le lait en poudre, les couches… Il y a suffisamment de structures pour accueillir, le problème c'est le temps perdu pour les problèmes de langue. Les ONG rament.
Le manuel n'est tiré qu'à 5.000 exemplaires, on pourra vous reprocher l'opportunisme de cette publication, un «coup de pub»?
C'est scandaleux que vous osiez dire que c'est un coup de pub. Vous ne savez pas combien ça me coûte! L'agence Voyageurs du monde le fait avec moi, à 50%. Ils m'ont appelé il y a dix jours pour payer la moitié. Il n'y a pas de communiqué de presse, ça devait simplement passer par les ONG par la FNARS (fédération d'associations de solidarité et de réinsertion sociale). Alors si vous estimez que c'est de la pub… D'ailleurs, on a déjà prévu de le réimprimer dans dix jours ce bouquin, on est submergé par la demande. Et puis il n'est pas vendu, il est gratuit… Ce sont les journalistes qui en font la pub.
Il s'agit donc plutôt d'un acte militant…
Chacun doit se débrouiller avec sa conscience! Ces gens ne sont pas des délinquants ni des chômeurs. Ils fuient la mort. Pendant la guerre, les accueillants risquaient leur peau, là on ne risque rien. Ce n'est pas de la charité chrétienne, c'est juste de l'humanisme. Un exemple: il y a une dizaine d'année, j'ai sorti un guide de l'Autriche en deuil quand l'extrême droite de Jörg Haider a été élue. On m'a dit que c'était un coup de pub. Et bien ce guide de l'Autriche publié en noir et blanc (avec la mention: «Nous dédions ce «Guide du Routard» à tous les Autrichiens qui n'ont pas voté Haider», NDLR), je n'en ai vendu que 5% du tirage. Plus aucun de mes lecteurs ne voulaient y aller. Ça a été un trou financier considérable. Et des maisons comme Hachette m'accompagnent sur ces projets-là. Tout est facturé à prix coûtant, sans bénéfice. C'est un guide gratuit donc il nous coûte. Peut-être que ce bouquin va aider des épiciers ou des patrons de supermarchés à donner des stocks en trop aux ONG, à ceux qui parlent arabe de donner un peu de leur temps pour faire l'interprète. Chacun voit midi à sa porte.