de rio à rio
Voici l'article de l'Humanité publié ce jeudi et qui s'appuie sur le livre d'Attac France ainsi que sur une interview de Geneviève.
Maxime COMBES
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VIDEO Alter-Echos (www.alter-echos.org) : Rio+20 : du développement durable à l’économie verte, quels enjeux ? Quelle alternative ?
De Rio à Rio : l’ambition érodée du développement durable
En 1992, le sommet de la Terre de Rio s’engageait dans le développement durable et offrait l’espoir de coopérations internationales. Vingt ans plus tard, le multilatéralisme a pris du plomb dans l’aile et le Rio+20 se focalise sur une économie verte visant à généraliser le marché de la biodiversité.
Ce ne fut pas le premier, ni, de fait, le dernier. Le sommet de Rio de 1992 n’en reste pas moins le plus mémorable de tous les sommets de la Terre, à mi-chemin entre l’originel, organisé à Stockholm en 1972, et celui de juin prochain. C’est lui qui accoucha des conventions internationales qui font aujourd’hui la pluie et le beau temps en matière de climat et de biodiversité (1). Il consacra le principe de développement durable et vit éclore, enfin, celui de responsabilité commune et différenciée des pays, et avec elle, une certaine dose d’espoir dans l’action multilatérale.
Vingt ans plus tard, la donne a changé. Économiques, écologiques ou de la faim, les crises se sont multipliées à mesure que le libre-échange et le pouvoir des marchés se renforçaient. Les ambitions onusiennes ont viré de cap, focalisant désormais leur attention sur l’économie verte, censée soutenir une croissance de même teinte et décriée par une société civile que l’on avait connue plus enthousiaste. La confiance en une coopération internationale, enfin, a pris du plomb dans l’aile, et peu d’observateurs s’attendent à sortir du Rio + 20 avec un objectif engageant.
Comment le glissement s’est-il opéré entre les deux rendez-vous de l’ONU ? En quoi le Rio 92 portait-il les germes de dérapages libéraux ? D’où tout cela est-il parti ? Petit tour d’horizon de l’écologie globalisée.
L’idée, d’abord, n’est pas née de la dernière pluie, quand des traités parlant d’une prise en charge globale de la biosphère apparaissent dès les années 1920. Mais le monde d’alors a la tête à l’ère industrielle, et met la préoccupation de côté jusqu’en 1945, nous rappelle le livre fraîchement publié par Attac, La nature n’a pas de prix, les méprises de l’économie verte (2). On est loin, encore, d’une écologie humaniste. Portée par un cercle restreint de scientifiques et de militaires, la notion recouvre une ambition géostratégique qui voit, en pleine guerre froide, les puissances de l’Ouest et de l’Est s’intéresser au contrôle des ressources alimentaires ou pétrolières. « La stratégie états-unienne de sécurisation de l’accès aux ressources du camp occidental conduit à une définition des “prélèvements nécessaires” », écrit Attac, « laquelle débouchera sur le concept de “rendement soutenu maximal” ». Celui-ci guidera les stratégies environnementales jusqu’à la fin des années 1960. Et muera en développement durable – ou soutenable, le débat sera vif concernant le choix du terme –, dont le sommet de Rio de 1992 marquera l’avènement.
« C’était un genre de compromis social-démocrate, commente Geneviève Azam, membre du conseil scientifique d’Attac. Il visait à satisfaire les pays du Nord, ceux du Sud et les mouvement écologiques en actant que développement, préservation des ressources et croissance économique ne sont pas incompatibles. » L’espoir d’une avancée est à ce prix. Vingt ans après le premier sommet de la Terre à Stockholm, qui n’avait débouché sur rien si ce n’est l’affirmation que les ressources planétaires doivent être préservées, la communauté internationale semble mûre pour agir. Cent soixante douze pays sont représentés, dont cent huit par leur chef d’État. Le mur de Berlin est tombé depuis trois ans, offrant en miroir l’image d’une coopération internationale en devenir. En 1987, enfin, la Commission mondiale pour l’environnement et le développement a publié le rapport Brundtland, lequel présente le développement durable comme une solution aux crises écologiques et économiques que traversent les pays industrialisés.
« C’était la première fois qu’une vision planétaire mettait en débat le rapport entre l’Homme et la nature », explique Christian Pellicani, membre du Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE) et rédacteur en chef de la revue Naturellement. Elle repose, alors, sur trois piliers d’égale importance : le respect de l’environnement, l’équité sociale et la croissance économique. Et laisse entrevoir là ses premières failles. « On laisse passer l’idée fondamentalement fausse qu’une croissance globale est soutenable », reprend Geneviève Azam. Si l’écologie citoyenne et sociale a grandi, la pensée néolibérale imposée durant les années 1980 par les Reagan et autres Thatcher n’a pas cédé le terrain. Déjà, Bush père fait entendre que le mode de vie américain n’est pas négociable. « Les idéologues libéraux, en outre, ne restent pas les deux pieds dans le même sabot », souligne Christian Pellicani. Tout en s’employant à nier les crises environnementales, les lobbyings financiers et industriels s’emparent du Rio 92, pour engager la promotion du capitalisme vert. Vingt ans après, celui-ci a réussi à faire de l’économie verte le pilier qui dirige tous les autres. Et à imposer la croyance que la gestion par le marché des ressources communes sera le remède à tous les maux.
Le sabotage néolibéral
Monde solidaire ? On aura presque failli y croire en 1997, au moment où le protocole de Kyoto fut signé par la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC). Sous l’administration de Bill Clinton, les États-Unis semblaient prêts à faire cause commune : la mise sur le marché de crédits d’émissions, surtout, était leur cheval de bataille. Mais, au moment de mettre en œuvre le protocole, Bush fils s’en dégagea, faisant de son pays le seul, parmi ceux industrialisés, à ne pas le ratifier définitivement, ouvrant ainsi la voie au désengagement planétaire. En 2009, à Copenhague, puis lors des deux conférences climatiques qui suivirent – 2010 à Cancun et 2011 à Durban –, le Japon, le Canada et la Russie lui emboîtèrent le pas et refusèrent de se réengager. Le multilatéralisme en sortira miné. Et d’autant plus discrédité que les engagements pris en 1992 n’auront pas été tenus, grillés par des mécanismes de marché – carbone et autres financements innovants – qui se seront révélés incapables d’enrayer les crises.