belle filière d'avenir....
Au Japon, quelle belle « filière d’avenir » que le nucléaire !
Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif (et nucléaire), assurait ce dimanche « le nucléaire est une filière d’avenir ». Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, renchérissait le lendemain en disant que, « incontestablement », l’assertion de Montebourg était juste.
Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée nationale (EELV), dénonçait lui « une profession de foi en décalage total avec la réalité » puisque, selon lui, « partout dans le monde, au contraire, le nucléaire est en déclin », déclin attesté par l’« abandon en Allemagne, en Belgique, en Italie, abandon de fait au Japon, remise en question des programmes de construction en Chine, aux Etats-Unis ».
L’évolution de la situation du nucléaire au Japon, après le désastre de Fukushima, donne toutefois tort au troisième.
Une diplomatie très radioactive
Le 8 juillet, anticipant la logorrhée nationale-nucléariste de Montebourg et Valls, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui est à l’origine de la création de la société Areva – fournisseur du combustible MOX utilisé dans le réacteur numéro trois de Fukushima Daiichi –, et administrateur avec Anne Lauvergeon – ancienne présidente de la même entreprise – de l’Institut François Mitterrand, rencontrait à Tokyo son homologue, Koichiro Gemba, et annonçait le projet des deux pays « d’adopter un partenariat sur cinq ans » qui pourrait être signé l’an prochain, avec, parmi les principaux domaines de coopération cités par le ministre français, « l’environnement et l’énergie, dont le nucléaire ».
Fabius et Gemba s’étaient déjà rencontrés le 20 mai 2012, en marge du sommet de l’Otan à Chicago, où ils avaient devisé sur le « haut degré de technologie » dont disposent le Japon et la France, rendant ces deux pays « susceptibles de mettre en place une coopération énergétique dans le domaine du nucléaire ».
Les négociations entre Mitsubishi et Areva, initiées par Anne Lauvergeon depuis 2009, consistant pour Mitsubishi à acquérir 3% du capital d’Areva, étant « gelées » depuis août 2011, gageons que sur cette planète-ci, aussi, un réchauffement climatique est désormais en cours.
Côté japonais, Yukio Edano, ministre de l’Industrie, déclarait le 16 août à Hanoï, après la signature d’un accord cadre entre le Japon et le Vietnam :
« A partir des leçons tirées de l’accident nucléaire de Fukushima, nous voulons aider le Vietnam à construire des centrales nucléaires ayant le plus haut niveau de sécurité. »
De fait, « le Japon doit répondre aux attentes des autres pays, particulièrement parce qu’il a récemment expérimenté une crise nucléaire ». L’espoir des autorités est d’accroître la part japonaise du marché du nucléaire dans ce pays : dix réacteurs y sont prévus d’ici 2030, l’AIEA estimant, au niveau mondial, un déploiement, d’ici 2030, des réacteurs de 1 GW de 130 à 170.
L’ancienne présidente de l’Agence de coopération internationale du Japon (Jica), Sadako Ogata, est la seule à avoir aussitôt posé la question clé :
« Le gouvernement japonais doit-il envoyer ses centrales à l’étranger alors qu’ils ne parvient pas à les gérer chez lui ? »
Des journalistes et des membres de Tepco regardent la centrale nucléaire de Fukushima, le 26 mai 2012 (TOMOHIRO OHSUMI/POOL/AFP)
Nucléaire contre infirmières
Selon le journal Yomiuri, le Japon doit « continuer ses efforts à la fois sur les aspects tangibles et intangibles, s’il souhaite remporter plus de commandes de construction de centrales nucléaires ». C’est pourquoi, dans le cadre d’« accords bilatéraux de libre-échange » avec les Philippines et l’Indonésie, et désormais avec le Vietnam, des ressortissants sont accueillis au Japon pour intégrer notamment les secteurs des services infirmiers et du soin aux personnes âgées, afin de faire face à la pénurie de personnel, certaines contreparties de cet accueil relevant du nucléaire.
Aux Philippines, les constructeurs japonais peuvent faire avancer leurs projets de réhabilitation de l’ancienne centrale nucléaire de Bataan, construite durant les années 1970 par Westinghouse, dans une zone fortement sismique qui jouxte le Mont Pinatubo. Le 3 mars 2011, le Japon a également signé un accord avec l’Indonésie afin de mener des études de faisabilité pour la construction de deux réacteurs sur les îles de Bangka Belitung, sur la côte est de Sumatra. Bangka Belitung fait partie des zones à risque « modéré » de tremblement de terre – soit le même niveau que celui attribué à la région de Fukushima.
Au Vietnam, colonie japonaise de 1940 à 1945, avec lequel un accord a été signé en avril dernier, un des objectifs est la construction de la première tranche du site de Ninh Thuan, situé au bord de la mer de Chine, dans une région côtière particulièrement exposée aux inondations, aux typhons et à des raz-de-marée ayant déjà atteint des hauteurs de 18 m.
Se voulant toutefois rassurant, le 9 avril 2011, le ministre japonais des Affaires étrangère, Takeaki Matsumoto, avait présidé à Jakarta une rencontre entre les pays de l’Asean et le Japon au cours de laquelle il avait rappelé combien le consortium Japan International Nuclear Energy Development (Jined), qui comprend neuf électriciens, trois constructeurs de centrales nucléaires et l’Etat, continuait à s’engager à fournir à ses partenaires des centrales de la plus grande sûreté possible.
Il est vrai que Tepco détient 20% des parts dans la Jined, ce qui en fait l’actionnaire le plus important, le président du consortium, Ichiro Takekuro, étant vice-président directeur de Tepco, où il travaille depuis 1969.
L’expérience du désastre comme argument commercial
Outre les négociations en cours avec l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil et le Mexique, depuis l’an dernier, plusieurs engagements fermes du Japon en matière de construction de centrales nucléaires à l’étranger ont été pris :
- en Lituanie, où Hitachi a reçu en juin un accord pour construire une centrale, en coopération avec l’américain General Electric ;
- en Turquie, où Toshiba est en passe d’obtenir une commande pour la construction d’une centrale, en forte concurrence avec des firmes coréennes ; Toshiba a déjà livré quatre réacteurs en Chine via sa filiale américaine Westinghouse, détenue à 67% ;
- aux Etats-Unis, où une filiale de Toshiba a reçu un accord en février pour livrer une centrale, le premier feu vert pour la construction d’une centrale nucléaire dans ce pays depuis 34 ans. La commission américaine de régulation du nucléaire avait donné son accord en novembre 2011 pour la construction et l’exploitation des réacteurs conçus par Westinghouse, filiale de Toshiba ;
- en Jordanie, où Mitsubishi Heavy Industries attend une commande pour la construction d’une centrale ; la firme a été retenue avec Areva, dans le cadre du consortium Atmea, pour construire la première centrale nucléaire d’une puissance de 1.100 megawatt équipée de la nouvelle génération de réacteur Atmea1, « une technologie avec le niveau de sûreté le plus élevé en tant que réacteur de troisième génération » selon Philippe Namy, Président d’Atmea ;
- au Vietnam, où plusieurs firmes ont reçu un accord de principe pour la construction de plusieurs centrales. Le Vietnam, actuellement 88 millions de personnes, veut disposer de quatre réacteurs opérationnels avant 2021, le Japon et la Russie s’étant partagé ce premier marché.
Selon le quotidien Asahi, « le gouvernement japonais a transformé la gestion du désastre de Fukushima en baratin commercial » : l’accord nippo-vietnamien rappelle explicitement que « c’est un devoir du Japon de partager mondialement les expériences et les leçons de l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima ».
Malgré les critiques relatives au plan d’indemnisation mis en place à Fukushima (dossiers trop lourds et compliqués, retards dans les paiements et les procédures, insuffisance des montants), malgré les aveux de faiblesse de la loi de 1961 sur l’indemnisation des dommages liés au nucléaire faits par le ministre Edano lui-même, en juillet, le Japon s’est engagé auprès du Vietnam à lui établir un plan d’indemnisation des dommages en cas d’accident nucléaire.
L’expertise japonaise
Outre la construction des centrales, il s’agit donc de fournir des informations et un savoir-faire sur la manière de définir le type de dommages nucléaires pouvant faire l’objet d’une indemnisation dans le cadre du système envisagé, de définir les montants maximaux de paiement et de former le personnel en charge des problèmes liés à l’indemnisation. Par ailleurs, des assureurs privés comme la Tokyo Marine Holding Inc. seront sollicités afin de créer des produits d’assurance spécifiques pour les situations de catastrophe nucléaire.
Selon le journal Yomiuri, soutien historique inconditionnel de l’industrie nucléaire, il s’agit d’« un véritable test, permettant de savoir si le Japon est capable de tirer parti de la crise nucléaire et de sa technologie avancée. » Sans même parler de démantèlement, la manne nucléaire est infinie et la filière est bien, comme l’affirment les nucléaro-socialistes français, d’avenir.
Que l’Etat ait su, ou non, « gérer les dégâts » n’a pas d’importance. L’expertise lui vient du seul fait d’avoir eu l’inestimable opportunité d’expérimenter la catastrophe. Il peut, de ce fait, commercialiser auprès des autres pays un « package » nucléaire aux vertus convaincantes : construction de centrales accompagnée d’un service après-vente incluant la « gestion des dégâts » et « l’expérience de la catastrophe ».
Ainsi est-il attendu aujourd’hui du « peuple-japonais-une-fois-de-plus-martyrisé » qu’il partage les fruits et tire les leçons d’une « expérience » – car c’est désormais le désastre qui fait l’homme et non plus l’inverse –, qu’il en fasse un terreau pour l’avenir et qu’il y voit les meilleures raisons de continuer à faire du Japon, en utilisant les mêmes clés que toujours, la grande puissance économique qu’il avait su devenir après la guerre. Un bel « avenir » en effet.