Les banques françaises sont-elles très dépendantes des paradis fiscaux? A en coire une étude publiée jeudi par la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, qui regroupe 19 ONG et syndicats, la réponse est oui. Elles y réalisent en effet un peu plus d'un quart de leur chiffre d'affaires à l'international.
Pour établir ce constat accusateur, les organisations ont passé au crible les informations que les banques françaises sont désormais obligées de rendre publiques depuis la loi bancaire de 2013. A savoir la liste de leurs filiales à l'étranger, leur chiffre d'affaires et le nombre de leurs employés. La Plateforme s'est notamment focalisée sur les documents de référence de BNP Paribas, Société Générale, BPCE, Crédit Agricole et Crédit Mutuel, la Plateforme. Il en ressort "7 péchés paradisiaques" dont se rendraient coupables les 5 plus grands groupes bancaire français. Quels sont ces chiffres et constats qui posent question?
- Plus d'un tiers des filiales étrangères sont situées dans des territoires opaques. Ce ratio est sensiblement le même qu'en 2012. Mais cette stabilité apparente cache de forts mouvements en à peine un an. BNP Paribas a en effet divisé par deux le nombre de ses filiales dans les paradis fiscaux. De son côté, Société générale y a au contraire multiplié par trois le nombre de ses établissments. Au total, les cinq grands groupes bancaires français comptaient 578 établissements dans ces territoires en 2013 contre 527 un an auparavant.
- 26% de l'activité internationale des banques est générée dans les paradis fiscaux. Soit un montant total de 13,7 milliards d'euros. Malgré la baisse du nombre de ses filiales, BNP est celle qui y réalise le chiffre d'affaires le plus important en valeur. Faire du chiffre n'est toutefois pas le seul objectif de ces établissement. Selon l'étude, "il existe des territoires opaques (...) dans lesquels les banques ont un faible voire quasi inexistant produit net bancaire mais plusieurs filiales". L'objectif serait alors de "profiter des avantages juridiques et réglementaires de ces centres offshore, comme par exemple, le fait de pouvoir se soustraire à certaines règles prudentielles en vigueur sur les marchés financiers encadrés ou de créer et/ou commercer des produits spéculatifs risqués", tente d'expliquer la Plateforme.
- Des filiales spécialisées en solutions de placement, financement structuré ou gestion d'actif. Contrairement à ce que disent les banques françaises pour justifier leur présence sur ces territoires opaques, l'essentiel de leurs filiales locales n'ont pas pour but de financer l'économie locale ou d'offrir des services à ses habitants. Les banques de détail sont en effet beaucoup moins nombreuses dans les paradis fiscaux que dans les autres pays.
- Des salariés offshore en moyenne 2 fois plus productifs que les autres. "Loin de prouver une réelle différence de compétences entre salariés, bien entendu, ces chiffres viennent nous conforter dans l'idée que la nature des activités des banques dans les paradis fiscaux n'est pas du même ordre que dans les autres territoires", indique l'étude.
- Le Luxembourg est le paradis fiscal préféré des banques françaises. 118 filiales y sont domiciliées, soit un tiers des filiales paradisiaques. Le Luxembourg concentre ainsi près du quart de l'activité des banques françaises dans les paradis fiscaux. Il est suivi par la Belgique, Hong Kong et la Suisse.
- Un trou noir aux Iles Caïmans. Les 5 plus grandes banques françaises détiennent dans les Caïmans au total plus d'une quinzaine de filiales mais aucune n'y a d'employé et certaines n'ont pas de chiffre d'affaires. Elles expliquent cette curiosité par le fait que les salariés seraient localisés dans d'autres pays ou que les activités réalisées sont imposées dans d'autres territoires.
- Des paradis fiscaux plus attractifs que la Chine, le Brésil et la Russie réunis. Les banques françaises y réalisent en effet 3 fois plus de chiffre d'affaires que dans les BRICS (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud).
"Ces chiffres, même partiels, confirment que le recours aux paradis fiscaux, loin d'être anecdotique, est au coeur du fonctionnement des banques ayant des stratégies internationales", estime Grégoire Niaudet du Secours Catholique - Caritas France, co-auteur de l'étude cité dans un communiqué.
Les membres de la Plateforme, parmi lesquels Les Amis de la Terre, Transparency International ou la CFDT, demandent à ce que les Etats du G20 obligent l'ensemble des entreprises à plus de transparence sur les richesses créées pays par pays.
Le sujet de la transparence et l'évasion fiscale devraient être au menu du G20 les 15 et 16 novembre, après les révélations sur un vaste système d'évasion fiscale au Luxembourg ("Luxleaks") la semaine dernière.
AvecL'étude de la Plateforme utilise pour sa définition du paradis fiscal une large liste de 60 pays établie en 2009 par le Tax Justice Network, qui comprend notamment la Suisse, l'Irlande ou le Portugal. Elle a toutefois exclu les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Portugal de la liste pour ne pas fausser ses données.